L’eléborme
L’éléborme n’a jamais été vu ni rencontré ailleurs que dans les rêves qui prennent naissance sur la face de la lune qui nous est interdite. Ces rêves ont la particularité, lorsqu’ils nous visitent, de nous présenter des symboles étrangers aux observations diurnes ou nocturnes de notre satellite.
Bien que de nature onirique, l’éléborme n’en est pas moins réel. Il est ainsi conjecturé qu’une rencontre, dans notre monde, entre un être humain et cette créature est tout à fait envisageable — sous réserve toutefois que soient remplies les trois conditions suivantes :
• La personne qui désire rencontrer l’éléborme doit posséder en elle le désir inextinguible et sincère d’une connaissance objective d’elle-même, tant de sa face obscure que de celle qu’elle croit connaître ;
• La nuit de la rencontre doit être sans lune ;
• La rencontre ne pourra être relatée par les protagonistes autrement que par la retranscription symbolique des rêves qui l’avaient imaginée.
La première condition paraît claire — même si elle requiert des exigences peu communes et très élevées — et ne semble pas appeler de remarque particulière.
La seconde condition, en revanche, apparaît plus intrigante : le simple fait d’énoncer que la nuit de la rencontre doit être sans lune fait passer le nombre total des conditions de trois à quatre. En effet, cette formulation nous informe implicitement que la rencontre doit se faire de nuit et que cette nuit doit être sans lune. Cela pourrait remettre en cause la validité de la conjecture, ou au contraire lui conférer une valeur accrue.
La troisième condition demeure cependant la plus embarrassante, car elle présuppose qu’au moment de la rencontre, il soit « su » quelque part quel comportement adoptera la personne et/ou l’éléborme après cette rencontre. Si nous ne pouvons rien dire du comportement de l’éléborme — aucune étude sérieuse n’ayant été réalisée à ce jour — il est tout aussi déraisonnable de garantir que celui ou celle qui le rencontrerait s’en tiendra à cette troisième condition, plutôt que de s’en aller fanfaronner sa découverte stupéfiante. Une connaissance objective du comportement humain nous recommande donc la prudence.
Une autre question se pose : celle de la nécessité d’une telle rencontre. Les informations que l’éléborme nous envoie en rêve depuis la face cachée de notre satellite ne devraient-elles pas suffire à nous alimenter en symboles propres à calmer nos inquiétudes et à éclairer les mondes que nous sommes sans cesse en train de défaire et de reconstruire ?
Cette question demeure ouverte.
